Crise de l’eau à Mayotte : L’État pointé du doigt pour ses lourdes responsabilités dans un article du Monde

par | 20 Oct 2023 | Non classé

Depuis la sécheresse de 2016-2017, le département de Mayotte est confronté à une situation critique. Selon des documents consultés par Le Monde, l'État n'a pas réagi de manière appropriée face à une catastrophe prévisible, tout en favorisant la participation du groupe Vinci sur le marché, ce dernier n'ayant pas pu respecter son contrat.


Notre est en proie à une pénurie d’eau « L’eau relève de la compétence des élus locaux« , déclarent immédiatement les sources officielles, notamment le ministre délégué aux outre-mer, Philippe Vigier.

Cependant, dans ce dossier, l’État porte une responsabilité majeure. La grave pénurie d’eau qui touche l’île depuis mars nécessite des mesures d’urgence exceptionnelles : rationnement de la population, envoi de millions de bouteilles, mobilisation de l’armée et recherche précipitée de sites de forage. Depuis la dernière sécheresse de 2016-2017, qui avait frappé ce petit territoire de 374 kilomètres carrés, la crise est demeurée insoluble.

Des échanges entre la préfecture, le syndicat des eaux, des documents judiciaires, un audit de la Commission européenne et divers rapports de cabinets de conseil, consultés par Le Monde, mettent en évidence l’incapacité des pouvoirs publics dans le 101e département français. Face à une catastrophe prévisible, l’État n’a pas pris les mesures nécessaires, tout en favorisant la participation majeure du groupe Vinci, qui n’a pas pu respecter son contrat.

Tout a commencé début 2017, avec l’établissement du premier plan d’urgence pour l’eau. Pour prévenir de futures crises, des investissements de l’ordre de 140 millions d’euros, principalement financés par l’État et l’Union européenne (UE), ont été programmés. Sur l’île, la pluie fournit 95 % de l’eau potable, le reste provenant du dessalement de la mer. Il a donc été décidé de créer deux nouvelles unités de dessalement et d’augmenter considérablement la production de l’usine existante de Petite-Terre : une nouvelle installation devait permettre de la porter de 1 300 mètres cubes à 5 300 mètres cubes par jour (soit 12 % de la consommation quotidienne actuelle).

Le 25 août 2017, la préfecture a informé le président du Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (Sieam) des intentions de l’État concernant ce projet majeur. Celui-ci n’a guère eu d’autre choix que d’accepter : « Il est impératif de rendre opérationnelles ces unités de production au plus vite. Il a été convenu que le Sieam confiera cette opération à son délégataire, la SMAE [la Société mahoraise des eaux], par voie d’avenant au contrat de délégation de service public de production d’eau potable« , a écrit le service de l’État.

La SMAE, filiale du groupe Vinci, détient depuis janvier 2008 une concession du syndicat intercommunal pour la production et la distribution d’eau potable, un contrat de 17 millions d’euros par an. Elle a été chargée d’attribuer le nouveau marché et de superviser les travaux, sur un domaine qui lui était peu familier, la désalinisation. L’usine existante n’a jamais atteint la quantité d’eau prévue.

Le marché d’extension a été lancé en urgence le 2 octobre 2017 et a immédiatement été attribué à… la Sogea-Vinci Construction, une autre filiale. L’ouvrage devait être livré avant le 31 janvier 2018, un délai très court. L’avenant au contrat engageait le délégataire à obtenir des résultats à la fois en termes de capacité de production et de délai de réalisation de l’opération. L’idée était que l’investissement de 8,7 millions d’euros hors taxes serait financé à hauteur de trois quarts par le Fonds européen de développement régional (Feder). Un comité de suivi de l’eau, présidé par le préfet, a été mis en place, avec la participation de Vinci. Ce comité était en charge de la gestion de l’approvisionnement.

Le syndicat des eaux de Mayotte connaissait alors des difficultés. Il cofinançait le projet de la nouvelle usine, alors que sa gouvernance était critiquée par les autorités de contrôle. Il avait prévu des investissements qualifiés d' »irréalistes » par la préfecture, qui lui avait demandé de revoir ses ambitions. Cependant, ces lacunes n’ont pas empêché le versement de subventions, dépassant la centaine de millions d’euros.

En 2018, le syndicat entre en conflit ouvert avec la SMAE. L’entreprise réclame 1,5 million d’euros. Le syndicat, quant à lui, estime que le contrat est trop favorable à Vinci, dont la marge cumulée atteint 11 millions d’euros depuis 2008, soit 9 %, selon un audit du cabinet Cogite. La chambre régionale des comptes confirme que Vinci fait une bonne affaire : « Les recettes générées par la délégation de service public ont été multipliées par 2,3 entre 2008 et 2018, passant de 11 millions d’euros à 25,8 millions. Alors qu’en 2008, 45 % de ces produits étaient reversés au Sieam, la surtaxe ne représente plus, en 2018, que 27 % des recettes globales de la délégation. »

En ce qui concerne le dessalement, censé contribuer à éviter une prochaine pénurie d’eau, les choses ne se sont pas passées comme prévu. En octobre 2018, l’usine de Petite-Terre ne produisait que de 700 à 1 300 mètres cubes par jour, au lieu des 3 000 mètres cubes attendus pour l’usine existante.


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