Alors que la Première ministre a été accueillie avec des colliers de fleurs et des chants traditionnels à l’aéroport ce vendredi matin, son arrivée à Mamoudzou, quelques heures plus tard, s’est faite dans une ambiance bien différente. Sur le port, une centaine de manifestants aux banderoles colorées l’ont hué à son arrivée. « On en a marre », ont-ils scandé en chœur, agitant leurs affiches « Mayotte en sous France » ou « 49.3 contre la délinquance. » La Première ministre est restée imperturbable, concentrée sur son programme chargé. En visite éclaire à Mayotte, le temps d’une journée, elle a souhaité couvrir la plupart des enjeux auxquels est confrontée l’île. La crise de l’eau et l’insécurité d’abord. Mais aussi l’immigration illégale, l’habitat insalubre, la santé, les aides sociales à l’enfance, les transports scolaires, la protection maternelle et infantile…
Une seconde usine de dessalement
A son arrivée, Elisabeth Borne s’est d’abord dirigée vers l’usine de dessalement de Petite-Terre, dans laquelle des travaux ont été réalisés pour augmenter les capacités de production. Depuis cette fin de semaine, « la production est passée de 3 500 m³ par jour à 4 700 », assure Françoise Fournial, directrice de la société mahoraise des eaux. Une hausse de 1 200 m³ par jour donc, pour répondre aux besoins de la population estimés à 43 000 m³. L’occasion pour la Première ministre de rappeler le lancement d’une campagne de forages afin de rechercher de nouvelles sources d’approvisionnement mais également la recherche de fuites, sur un territoire où 15 000 m³ est perdu chaque jour, sur les 39 000 produits. « Nous allons également créer une deuxième usine de dessalement à Ironi Bé », a confirmé la Première Ministre. Un projet qui devrait permettre de produire 10 000 m³ mais qui ne cesse d’être repoussé. Evoqué depuis plusieurs années, il devrait être opérationnel en 2023 puis en 2024 et est finalement repoussé à début 2025. D’autant que, pour le moment, le terrain n’est pas défini et que les rejets de saumure dans le lagon questionnent. « Cela aura sans doute un impact sur les écosystèmes », alerte Estelle Youssouffa, députée Liot de Mayotte.
Du côté de la distribution de bouteilles d’eau, la première ministre a annoncé qu’elle « serait prolongée autant de temps que nécessaire. » A Dzaoudzi, elle s’est rendue sur l’un des sites de distribution de bouteilles et s’est félicitée de « parvenir à distribuer 300 000 litres par jour à toute la population. » A l’exception toutefois des demandeurs d’asile, des personnes en situation irrégulière et d’une partie des travailleurs. Rahamatou*, une habitante de Dzaoudzi, qui attend depuis plus d’une heure ses packs est excédée. « Ça fait trois fois cette semaine que je viens car les containers étaient vides. En ce moment, je devrais être en train de travailler. Et quand on demande des explications, on nous dit qu’on peut aller acheter des bouteilles. » D’autant qu’on lui a demandé « les documents de toute une vie », pour pouvoir s’inscrire. « Livre de famille, facture d’eau, pièce d’identité, carte vitale… », détaille la Mahoraise.
De nouveaux logements à Koungou, Mamoudzou et Dembeni
La Première Ministre a poursuivi la journée par une visite d’un bidonville à Koungou, qui devrait bientôt être démantelé. « Ces conditions de vie ne sont pas dignes de notre pays. Une partie de l’explication, c’est notamment l’immigration illégale. Et nous sommes déterminés à renforcer notre lutte contre cette immigration », a-t-elle déclaré. Pour autant, alors que le territoire souhaitait faire de cette lutte une de ses priorités à l’occasion de l’opération Wuambushu, 22 000 personnes ont été éloignées cette année, contre 25 380 en 2022.
Le territoire manque par ailleurs de solutions de relogement, dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre. Pour construire de nouveaux logements, plus rapidement, la première ministre annonce « le lancement, en 2024, d’une opération d’intérêt national sur les communes de Koungou, Mamoudzou et Dembeni, où se concentrent 60 % de l’habitat insalubre à Mayotte. L’idée est de lancer des procédures d’exception pour réaménager des sites et construire des logements dignes pour les personnes qui doivent être relogées. »
70 % des postes de praticiens hospitaliers ne sont pas pourvus
Elisabeth Borne a également été à la rencontre des soignants du centre hospitalier de Mayotte, en sous-effectifs depuis plusieurs mois. Mais plus que leur besoin en personnel supplémentaire, les professionnels ont évoqué l’insécurité à laquelle ils doivent faire face. « La semaine dernière, je me suis fait caillasser ma voiture par des jeunes de 11 à 15 ans, raconte un soignant. Ce qu’on voit, c’est un bloc de machettes, c’est horrible. Les pompiers ne pouvaient même pas franchir le barrage. » Pour un de ses collègues, « si on recrute et que le cadre de vie n’est pas sécurisant, personne ne va venir. » Ici, 70 % des postes de praticiens hospitaliers ne sont pas pourvus.
Pour consolider l’offre de formation des professionnels de santé sur place et améliorer l’attractivité, le gouvernement annonce l’ouverture d’un institut de soins infirmiers mais également une hausse des primes allouées aux professionnels du centre hospitalier. 242 millions d’euros seront également mis sur la table pour la modernisation du service des urgences, la maternité et la psychiatrie. La création d’un deuxième hôpital, annoncé par le président de la République en 2019, est toujours en projet à Combani, au centre de l’île.
Côté sécurité, alors que les tensions se multiplient avec des affrontements quasi-quotidiens, 70 gendarmes supplémentaires sont arrivés en renfort. Le gouvernement a également évoqué la construction d’une deuxième prison de 400 places sur l’île alors que le taux d’occupation de celle de Majicavo-Koropa atteint 230 %. Mais aucune précision n’a été faite sur ce projet déjà annoncé en mars 2022 par le ministre de la Justice.