Le 22 mai, les engins de chantier de l’entreprise Tetrama arrivaient dans le quartier informel Talus 2 pour détruire les 162 cases construites illégalement. Ce jour-là, des habitants assistaient à la scène, impuissants, et sans savoir où ils allaient passer la nuit. « On n’a pas de solution, on ne sait pas où on va dormir », confiait Isura*, en terminale au lycée de Kaweni, aux côtés de sa mère et de ses sœurs. Fatima Youssouf, elle, ne voulait pas quitter les lieux. Gérante d’un restaurant à proximité, la mère de 4 enfants, qui vivait dans le quartier depuis 20 ans, avait prévu de s’y installer avec son mari et ses enfants. « J’ai déjà perdu ma maison, je ne veux pas perdre mon travail », soufflait-elle.
Un mois plus tard, la restauratrice de 56 ans vit toujours dans son établissement. Ses voisins, eux, se sont éparpillés. Parmi les habitants de Talus 2, 70 familles, en situation régulière, avaient droit à une proposition de relogement de la part de l’Etat. Selon Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat insalubre au sein de la préfecture, « 44 de ces familles ont accepté une proposition. » Les autres se sont débrouillées. Deux des familles expulsées ont notamment trouvé refuge au sein du centre d’hébergement d’urgence et d’insertion Coalia, à Tsoundzou 2, au sud de Mamoudzou.
« Ce n’est pas toujours facile, on voit tout ce que je fais »
Parmi elles, Hadidja*, 45 ans, s’est installée avec son fils de 13 ans dans un logement de deux pièces, qu’elle partage avec une autre mère et ses enfants. « J’habitais à Talus 2 depuis 2004, dans un banga de 4 chambres. Ici, ce n’est pas toujours facile, on voit tout ce que je fais », chuchote-t-elle, assise sur son lit une place, collé à celui de son fils. « J’ai demandé à installer un rideau parce que l’autre famille doit passer dans notre pièce pour sortir de la maison », ajoute-t-elle. Dans le centre d’hébergement, 31 maisons en bois, sur deux étages, peuvent accueillir jusqu’à 224 personnes. Et même si elles sont plus confortables que les cases en tôles – avec carrelage au sol, électricité et eau courante – Hadidja regrette la vie de son quartier. D’autant que la mère de famille originaire de Grande Comore, qui possède un titre de séjour, travaille tous les jours au marché de Mamoudzou. Son fils, lui, est toujours scolarisé à Majicavo, à plus de 10 kilomètres. « Il n’y a pas de bus qui passe ici, nous devons prendre le taxi tous les jours. Ça nous coûte très cher », confie-t-elle.
Ici, Hadidja a signé un contrat de six mois, « renouvelable en fonction de la situation de chacun », indique Anlaïna Chibaco, la cheffe de service de l’association Coalia. Mais à l’issue de cette période, elle ne sait pas où elle ira. Une incertitude, quant à l’avenir, qui touche également les neuf familles relogées au sein du centre Hamachaka, à Koungou, au nord de l’île. Là, Hafiza* a trouvé une place dans une des 10 constructions modulaires du site. Elle y vit avec ses trois enfants et son mari. « On partage la cuisine et les toilettes avec les autres habitants. On a signé un contrat d’un an », précise la mère de famille qui débourse « 160 € par mois » pour ce logement. « L’objectif est de leur proposer un hébergement temporaire avant qu’ils puissent accéder aux logements sociaux, qui sont en train d’être construits », précise Bastien Camps, chef de projet au sein du service développement urbain de la Ville de Koungou.
Près de 25 000 logements nécessaires
Car Mayotte manque cruellement de logements pérennes pour héberger les personnes expulsées des bidonvilles. Selon le schéma d’aménagement régional de l’île, « près de 25.000 logements sont nécessaires » pour résoudre le problème de l’habitat insalubre. Or, en 2021, la société immobilière de Mayotte (SIM) – principal opérateur et aménageur immobilier du territoire – disposait d’un parc de 2 433 logements, tout confondu. Pour Psylvia Dewas, chargée de résorption de l’habitat insalubre au sein de la préfecture, « les opérations de destruction servent également à libérer du foncier pour construire des logements sociaux au fur et à mesure, afin de proposer aux familles des hébergements pérennes. »
A Koungou, près de l’ancien quartier Talus 2, un projet expérimental de 30 maisons – louées entre 50 et 100 € par mois – a notamment permis d’héberger 15 familles du quartier récemment détruit. « Mais pour que ce type de projets permettent de reloger au fur et à mesure les familles expulsées, il faut qu’ils puissent être livrés rapidement. A Koungou, le chantier a pris beaucoup de retard et a duré 2 ans et demi », indique un architecte spécialisé dans la résorption d’habitat insalubre, souhaitant rester anonyme.
* Les prénoms ont été changés