« Des contrôles d’identité à toute heure et en tout lieu », « la destruction, sans validation préalable par un juge, de quartiers entiers », mais aussi « la diffusion de discours de haine contre les étrangers » et « un accès inégalitaire à la justice. » Voilà ce que pointent dix avocats, arrivés à Mayotte pour une mission d’observation, peu avant le « lancement » l’opération Wuambushu, visant à expulser en nombre les personnes en situation irrégulière, détruire près d’un millier de cases en tôles et lutter contre la délinquance. Dans une tribune, publiée le 6 juin sur le blog de Mediapart et reprise par le journal Le Monde le 14 juin, les avocats estime qu’à Mayotte, « l’État combat la misère par la violence. »
80 % de l’île non informée de ses droits
La délégation s’est rendue sur place du 11 avril au 3 mai dernier, après avoir été informée des « violations graves et systémiques des droits fondamentaux à Mayotte. » Et les constats faits sur place « imposent d’alerter sur la situation à Mayotte, et ce y compris en dehors de toute opération de « reprise » (Wuambushu) », souligne le collectif ayant constaté « des difficultés majeures d’accès aux juridictions, laissant 80% de la population de l’île non informée de ses droits et totalement isolée quand elle se trouve être la cible des méthodes expéditives de l’Etat. »
La délégation d’avocats adhérents au Syndicat des avocats de France (SAF) et/ou à l’Association de défense du droit des étrangers (ADDE) rappelle que « Mayotte a vu son électorat voter, aux dernières élections présidentielles, à près de 60% pour le Rassemblement National » et estime que « le climat de haine entre ressortissants français et étrangers (ou perçus comme tels) est permis, voire entretenu par l’Etat. »
Sur une île où 40% de la population vit dans des habitats précaires, « l’accès à la carte de séjour est, en pratique, extrêmement compliqué ». « Dématérialisation de la procédure, obligation de produire des justificatifs impossibles à avoir, comme un justificatif de domicile pour une case en tôle, sont d’autant d’entraves à l’obtention de la carte qui matérialiserait un droit au séjour pourtant bien acquis », énumèrent les signataires de la tribune. Sur le territoire, des contrôles d’identité ont également lieu à toute heure et en tout lieu, « menant à des enfermements et éloignements sans étude préalable de la nationalité (française), du droit au séjour, sans accès à un avocat ni, a fortiori, à un juge. Bien que déjà condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, la France s’entête et éloigne aveuglément », s’indignent le collectif d’avocats.
27 avocats pour plus de 300 000 habitants
Autre point d’alerte : la destruction, « sans validation préalable par un juge », de quartiers entiers dont certains existent depuis plus de 40 ans. « Sans proposition de relogement, sans endroit pour stocker leurs meubles (souvent, leur seule « richesse » économique), des familles se retrouvent mises à la rue, entraînant perte d’emploi et déscolarisation », souligne la délégation.
Les avocats pointent également « un accès inégalitaire à la justice. Avec seulement 27 avocats pour plus de 300.000 habitants, les avocats de Mayotte ne peuvent répondre aux demandes de tous. En outre, alors que 80% de la population vit en situation de pauvreté, l’aide juridictionnelle n’est que très difficilement accessible, notamment en raison de sous dotations du tribunal pour le traitement desdites demandes. »
Pour le collectif « l’opération Wuambushu n’a pas créé une période exceptionnelle. Elle n’est qu’une loupe de ce qu’il se passe habituellement à Mayotte. La seule réponse sécuritaire apportée par l’Etat français ne fait que scinder et opposer la population entre elle. De cette manière, « l’ennemi à combattre » étant trouvé, sont laissées à l’abandon les questions des moyens donnés à la santé, à l’éducation, à la justice dans ce département qui demeure le moins doté de France malgré les enjeux majeurs que présente Mayotte », concluent les dix signataires que sont Mihidoiri ALI (Saint-Denis de la Réunion), Yseult ARNAL (Nantes), Jean-Marie BIJU-DUVAL (Paris), Anna BLANCHOT (Brest), Marjane GHAEM (Avignon), Agathe JOUBIN (Toulouse), Stéphanie LEFEVRE (Lyon), Camille MAGDELAINE (Paris), Fanny SARASQUETA (Toulouse) et Flor TERCERO (Toulouse).